Thierry Noir: La vie d’artiste.

Berlin, la ville divisée entre le passé et le présent.

Une promenade autour de Mariannenplatz avec Thierry Noir ressemble à un voyage dans le passé, à l’époque du grand malaise étudiant et des squats de Berlin Ouest.

L'artiste français vit tout près de Mariannenplatz dans une grande maison qui s’appelle «Georg von Rauch-Haus». Le bâtiment est baptisé du nom d'un manifestant tué par la police en décembre 1971. Quelques jours après sa mort, en guise de représailles, des centaines de jeunes occupaient Béthanien, le grand hôpital vide de la Mariannenplatz.

Les événements de ce jour ont été immortalisés par le groupe de Rio Reiser, "Ton Steine Scherben" dans une chanson bien connue et ont contribué au mythe du quartier de Kreuzberg. Ce mythe a décidé beaucoup d'artistes à venir à Berlin, y compris Thierry Noir en janvier 1982.

"David Bowie, Nina Hagen et aussi Iggy Pop étaient déjà venu à Berlin, alors j'ai pensé que je devais y aller aussi."

Sur le bord d'une rue nouvellement goudronnée, derrière Georg von Rauch-Haus, (qui est maintenant un centre de jeunes), Noir nous montre du doigt où était le mur. Nous cherchons des yeux aux alentours d’autres traces de ce mur, mais il secoue la tête et nous déclare:

"Non c’est trop tard, il n’y a plus rien."

C’était ici, le long de ce bout de trottoir, que l'artiste a fait en 1984, ses premières peintures, de grandes têtes colorées peintes dans un style primitif avec des gros yeux enflés et des grosses lèvres ou bien des grandes dents carrées.

Les peintures n'était pas un acte d'agression contre la RDA, mais plutôt une tentative de surpasser la tristesse, de surmonter la mélancolie du quartier, qui était devenu petit à petit, après la construction de la frontière en béton de 1961, une espèce de grande zone sans issue.

Le succès est venu à Thierry Noir à partir de 1987 après que Wim Wenders lui demanda de peindre les fresques du mur de Berlin visible dans le film «Les ailes du désir». Le film eut un succès international. Ses motifs sont devenus si célèbres que même le gouvernement communiste de la République Démocratique Allemande a réalisé qu'il pourrait faire l'argent avec eux.

Fin janvier 199O, après l'ouverture des frontières, les soldats est-allemands ont démantelé en une semaine une longue partie du mur le long de la Waldemarstrasse. En juin de la même année, 33 segments peints par Noir ont été mis au enchères à Monaco et vendus pour un prix moyen de 15000 Euro par segment. Noir a poursuivi les vendeurs devant les tribunaux et il y fallu 10 ans de procédure, pour qu’il obtienne environ 10% de la somme perçue à Monaco.

Le square de Mariannenplatz est toujours dominé par le bâtiment principal de l’ancien hôpital de Béthanien avec ses deux tours à l’allure médiévale. Il est difficile d'imaginer que la ville de Berlin ait par le passé permis qu’un bâtiment aussi impressionnant d'architecture et de beauté puisse demeurer vide et dégradé aussi longtemps.

A l'extrémité de la place herbeuse de Mariannenplatz, l'église Saint Thomas est actuellement en rénovation pour lui redonner toute sa splendeur. Les briques de l’église, après un sablage complet, ont retrouvé leur belle teinte orange, et les détails de la maçonnerie, les statues, les décorations murales, sont agréablement redevenus visibles.

Mais, bien que la plupart des rénovations aient été accomplies, l'entrée principale de l'église est toujours fermée par un mur de béton blanc. Le fait que l’église soit fermé par ce mur de béton est, pour Thierry Noir, une situation vraiment paradoxale. Il ajoute en souriant:

"Le pasteur a également peint le mur de Berlin qui se trouvait juste derrière son église, maintenant un nouveau mur est devant son église".

En revenant dans la Georg von Rauch-Haus, un chien aboie dans le long couloir foncé du premier étage. Nous montons d’un pas rapide le large escalier jusqu’au deuxième étage, pour arriver dans la chambre de Thierry Noir. Cette âme douce, habillée dans un manteau beaucoup trop grand pour lui, raconte avec passion les expériences antérieures du collectif:

«Chaque jour deux personnes de la maison étaient responsable de la cuisine. Ils devaient cuisiner pour tout ceux de la maison, c’est à dire environ 50 personnes. Quand c’était mon tour, j'avais l'habitude de faire à chaque fois, un bon plat, ma recette secrète: Les raviolis Noir. J’achetais une vingtaine de grosses boites de raviolis, les ouvrais et versais le tout – flic, floc, floc - dans un grand chaudron. Je remuais le tout un certain temps et ensuite on passait à table. Ça sentait bon les herbes de Provence...

Je n’avais plus qu’à rajouté: bon appétit !»